Ils étaient devenus fous, tous. Pas un seul n'y avait réchappé, ce jour-là. L'immense aura qui s'était déployée n'avait épargné personne d'aute dans la tour. Personne d'autre que lui. Il s'était caché sous sa couette, en voyant cette lumière arriver. Etait-ce à cause de ça ? Il l'ignorait, mais n'avait aucune autre explication. Il travaillait au temple, mais tous avaient péris dans leurs âmes, au temple, même le grand prêtre. Sa famille avait elle aussi sombré dans cette folie, ce jour-là.
Et il était désormais là, seul, seul avec le vieux gardien Melkor. Discuter avec un squelette enchanté, voilà à quoi il en était réduit. Tout cela pour un sort qui était censé les protéger de l'invasion des peaux-vertes. Il leur avait apporté bien pire que cela.
Le jeune elfe avait bien pu étudier les signes de cette damnation éternelle, qui frappait tous ses camarades. Leurs yeux étaient blancs, vides. Il erraient mécaniquement, toujours aux même taches, égarés. Fous, à lier.
Il entama un autre tour de la taverne, dans laquelle il était depuis ce matin. Il se sentait si seul, seul être censé, sans personne à qui parler, si ce n'était des légumes. Les murs étaient couverts de toiles d'araignée, et s'empoussieraient un peu plus chaque jour. La scène en bois, les tables, étaient sales, abimées, bancales. L'une ou l'autre planche avait déjà craquéé. Et dans cette désolation, quelques fantômes d'âme, corps vides et creux, faisaient comme si de rien n'était. Il se racontaient toujours la même chose, il y avait toujours les même bruits. On ne trinquait plus de bon coeur ici et même le son des chopes entre elles était vide. Vide de sens, tant même ce geste était devenu mécanique, sans sentiment aucun.
Dans un coin, un homme d'un certain âge restait interdit, dans son armure dorée ternie par le temps. Il tappait de temps en temps son épée contre son bouclier, sur sa chaise. Un vétéran, toujours à cette place. Toujours frappant son épée contre son bouclier. Les yeux blancs, vides, comme tous ceux ici attablés.
Le jeune elfe soupira encore une fois. Il se sentait seul, si seul. Sans personne avec qui rien partager, que des fous. Une voix le lui hurlait dans la tête, chaque jours qui passait : il était entouré de fous. Avec qui discuter ? A qui se confier ? Lui était torturé de n'avoir plus personne de censé à qui parler. C'était pire que pour les autres, il en était sûr. Les autres n'avaient juste plus rien à dire. Ce que cela devait être reposant.
« Hey, le fou, arrête un peu de tourner en rond en soupirant sans arrêt !! »
Il passa devant l'homme qui l'avait ainsi interpellé, et ne posa même pas sur lui ses grands yeux blancs et vides. Soupirant une fois de plus, il continua à faire le tour de la taverne.