C’est en haut de cette falaise que l’on pouvait l’apercevoir. Adossé contre un arbre, cherchant à s’échapper de l’emprise étouffante des ténèbres qui s’étendaient dans les plaines, il fut apaisé à la vue de quelques faibles rayons lumineux perçant au travers d’insignifiants nuages noirs. La douce mélodie des vagues se heurtant aux récifs s’était emparée de son esprit et parlait à son âme. Le regard plongé dans le vide, le guerrier songeait, paisible.
Il repensait à cet instant où, inquiet, il leva les yeux au ciel. Cherchant un quelconque présage qui lui serait synonyme d’espoir, il ne put qu’apercevoir ce soleil laiteux, masqué par un épais brouillard qui descendait inexorablement dans la vallée. Au milieu des balistes, encerclé par le tonnerre grondant de la cavalerie qui remontait la ligne de tranchée, il se risqua un instant à penser que l’issue de la bataille était incertaine.
C’est alors qu’il fut alerté par les hurlements obscurs d’une silhouette trapue se présentant à la lisière d’une forêt. Le chef de l’armée des Thor, peuple barbare venu de l’Est, se trouvait là, prêt à répandre la mort autour de lui. En réponse à toute cette haine déversée sur le champ de bataille, une voix puissante se fit entendre :
_«Soldats, progressons ensemble car divisés, nous tomberons. Ensemble, nous tiendrons debout. Ni leurs haches, ni la morsure du froid ne viendront nous troubler ».
Cette voix, le soldat la reconnaissait. Il s’agissait de celle de son général. Ce combattant émérite de la légion, portant encore au visage les cicatrices de ses récentes victoires, n’était autre que son frère. Lorsque leurs regards vinrent à se croiser, ils se sourirent furtivement. Le général ne savait comment venir en aide à la personne qui avait le plus de valeur à ses yeux. Meurtri pour avoir trop vu la guerre, le souvenir de son premier combat s’était depuis bien longtemps dissipé dans les ruines de sa mémoire. Cet homme désormais austère s’avança vers son jeune frère et lui posa une main sur l’épaule droite:
_ «Ne les laisse pas enterrer la lumière» lui dit-il.
Le soldat se montrerait digne de son général.
Malgré un vacarme assourdissant, le jeune guerrier put toutefois entendre les ordres communiqués aux archers se trouvant derrière lui. Il sortit le glaive de son fourreau et souleva avec force son lourd bouclier en bois. Adressant un regard fuyant aux hommes qui s’affairaient autour des balistes, il pria une dernière fois. L’infanterie progressait maintenant vers l’ennemi en formation de combat. Les premières volées de flèches sifflaient déjà au-dessus de leurs têtes.
S’en suivit un interminable déluge de feu et de sang.
Le son tranchant des épées, le fracas des lourdes masses venant frapper contre les boucliers avait réduit au silence les nombreuses flèches qui suivaient leur chemin meurtrier au travers des arbres.
Cherchant une quelconque vérité dans le rythme saccadé des battements de son cœur, le jeune guerrier brandit le fer. Sa lame ôta la vie à de nombreux sanguinaires à mesure qu’il progressait dans ce décor nébuleux. Un bref instant, avant de disparaître dans les vapeurs irrespirables des projectiles enflammés, il distingua son frère. Ce dernier livrait bataille avec tout son orgueil, sans hésitation, laissant aux dieux le soin de le maintenir en vie.
Suffocant et à bout de souffle, le jeune soldat se trouvait maintenant étendu sur un sol enneigé et boueux. Encerclé par les flammes, tout autour de lui n’était que silhouettes obscures, sombres assassins au visage inconnu. Prisonnier du royaume des ombres, il rassembla tout son courage afin d’honorer ses ancêtres. Il lutta vaillamment, perdu dans ces instants qui durent une éternité.
Alors qu’il peinait à se relever, le soldat sentit le sol trembler. Emergeant du versant méridional de la colline qui surplombait la forêt, il distingua les cavaliers de la légion. Lancés au galop, ils firent taire les grognements des derniers guerriers inhumains. Enfin, lorsque la voix grave du général résonna à travers tout le champ de bataille, il sut qu’ils avaient triomphé. Pendant un bref instant, il s’efforça de fermer les yeux afin de réunir ses forces.
Il se sentait comme transporté, voyant défiler sous ses yeux le sol de cette nouvelle terre conquise avec honneur. Il se voyait tantôt parcourir les collines enneigées, tantôt arpenter les chemins tortueux menant au rivage où les pierres sont chauffées par le soleil.
Les raclements secs et réguliers d’une pelle venant se heurter contre la roche mirent fin à ses songes. Le spectacle qui s’offrait maintenant à ses yeux suffit à emplir son cœur de joie. Ses murmures formulés à l’aube avaient été entendus, il contemplait de nouveau ce soleil vif régnant dans le ciel d’un jour qui s’achève. La lueur de cette fin de journée chaotique s’éclipsa finalement pour laisser place à une rude nuit hivernale. Une faible brise emporta avec elle tous les souvenirs de ce jour sanglant. Le général faisait désormais face à ses tourments, lui qui croyait apporter la lumière là où régnait l’obscurité. Il errait, impuissant, ne sachant comment se débarrasser de ce goût amer qu’il ressentait en voyant disparaître le soleil chaque jour un peu plus loin à l’horizon. En proie au doute malgré ses certitudes de guerrier intouchable, il chercha parmi les astres un moyen de se prouver à lui-même que la victoire d’aujourd’hui avait été décisive. Une dernière fois, il regarda son frère. Ce dernier, étendu près de son arbre sur le sol rocailleux, avait de nouveau fermé les yeux. Tranquille, paisible, rien ne semblait troubler sa fin…
C’était le soir d’un triste jour…
[HRP=]Le topic de Dounette sur la guerrière était tellement magnifique que j'ai tenté de faire mon mien 
Je viens le poster ici parce qu'il n'y a pas de section RP chez les ENDS. En tout cas j'espère qu'il vous plaira.. Merci à Dounette pour ses conseils 
[HRP]
Sam 28 Avr 2007 - 11:22
j'èspère !!!
Une suite 
Désolé Thanar mais j'avais écrit ce topic en pensant à un poème qui m'avait beaucoup plu, "Le Dormeur du Val" d'Arthur Rimbaud..
